Caracas, mardi 13 novembre 2007.
Avant de se lancer dans un commentaire sur les échanges qui se sont produit lors du sommet ibéro-américain entre les présidents Chavez et Zapatero, et le Roi d’Espagne nous devrions tous nous demander : « De quoi vais-je donc parler ? De mon interprétation du sommet de Santiago ou de mon opinion construite à partir de l’interprétation des grands groupes de presse ? »
En Espagne, « l’affaire » occupe déjà tous les esprits. En France, où le sujet est moins polémique, les réactions ont plutôt suivi la préférence politique de chacun. Mais alors que les opposants au Socialisme du XXIe siècle se régalaient de voir un Roi insulter un élu du Peuple, une certaine confusion régnait chez certains partisans du gouvernement bolivarien : « Chavez n’était-il pas allé trop loin ? » A lire l’article du Monde consacré au sujet, je serais moi-même tenté de prendre mes distances avec le président vénézuélien qui apparaît ici comme un impulsif, plus doué pour les scandales que pour une réflexion approfondie. Le seul hic, c’est que Le Monde se livre encore à un de ces montages médiatiques dont il a le secret. Les longs échanges du sommet de Santiago n’ont rien à voir avec le collage opéré par les grandes entreprises d’information.
Pour tenter de remettre la discussion dans son contexte, il convient d’examiner pourquoi Chavez a traité Aznar de fasciste, et pourquoi le Roi d’Espagne a quitté la réunion du Sommet de Santiago. A ces deux questions primordiales, Le Monde répond par deux inventions : » Le dirigeant vénézuélien n’a cessé depuis son arrivée, vendredi, de traiter le prédécesseur de M. Zapatero, José Maria Aznar (conservateur), de « fasciste ». Pourquoi donc Chavez n’aurait eu de cesse de qualifier Aznar de fasciste, on ne le saura pas. Quand à la fuite du Roi, le responsable est pointé par Le Monde : « Hugo Chavez, emporté dans son discours, a aussi invectivé l’Eglise vénézuélienne et le pape avant d’accuser les Etats-Unis et l’Union européenne d’avoir approuvé un coup d’Etat à son encontre en avril 2002. N’en pouvant plus, le roi Juan Carlos est sorti de la salle lorsque le président du Nicaragua, Daniel Ortega, prenait le parti d’Hugo Chavez et lui redonnait brièvement la parole. » Notons avant d’aller plus loin, que Hugo Chavez n’a pas besoin de s’emporter pour rappeler que le gouvernement formé par les putchistes le 12 avril 2002 avait été reconnu par les Etats-Unis, l’Eglise vénézuélienne, le Royaume d’Espagne et l’Union Européenne présidé alors par le royaume d’Espagne dont le chef de gouvernement était José Maria Aznar. Le Monde nierait-il ces réalités historiques ? Nous le renvoyons aux archives des institutions concernées.
Les deux réponses apportées par le journal du soir occultent deux questions primordiales ? Pourquoi donc Hugo Chavez a-t-il rappelé ces faits historiques et qualifié Aznar de fasciste ? Pourquoi donc sa très haute majesté a quitté un sommet si important si la faute retombait sur un seul trublion, à qui l’on peut faire fermer sa gueule ?
La reconstruction des échanges tels qu’ils se sont déroulés nous permettra sûrement de saisir cette nouvelle déformation de la réalité par ceux qui sont censés nous informer.
Tout se déroulait plutôt bien à Santiago, jusqu’au discours de José Luis Zapatero. Celui-ci, en cohérence avec son modèle politique, s’est fait le chantre du social-libéralisme pendant la demi-heure de son discours, condamnant toutes les autres visions du Monde comme « totalisante ». Puis, il mis en garde les pays latino-américains « qu’un pays ne pourra jamais avancer s’il cherche dans des facteurs extérieurs des justifications quant à ce qui empêche son développement. »
Suite à son discours, la présidente du Chili, Michelle Bachelet consciente du scandale que pouvait provoquer les paroles de Zapatero dans un continent en lutte contre la soumission à la doctrine Monroe, invite les chefs d’Etats et de gouvernements à signer le protocole d’accords du Sommet, en précisant « que certains ont des avions à prendre, et qu’il serait bon de signer rapidement pour passer à la cérémonie de clôture ». Grosso Modo, « On ferme, vous êtes priés de ne pas répondre ».
« Présidente, je voudrais rajouter quelques mots en réponse à mon ami Zapatero » dit à ce moment Hugo Chavez. « Bon d’accord, mais rapidement s’il vous plait » l’autorise Michelle Bachelet. C’est ce que fera Chavez dans sa réponse de 40 minutes. Réponse complètement omise par les entreprises de communication internationales. A l’appel de Zapatero à nier ou minimiser les facteurs extérieurs dans la conduite d’une politique interne voué au progrès sociale, Chavez répond que dans ce même pays qui les accueille, un homme et un peuple avaient voulu construire démocratiquement une société plus juste, mais que des facteurs extérieurs, en l’occurrence le gouvernement et les multinationales des Etats-Unis les en ont empêché. Il s’agit bien sûr de Salvador Allende et du peuple chilien. Chavez change alors d’exemple pour parler du coup d’Etat d’avril 2002. Il aura ces mots pour condamner les facteurs externes qui l’ont quasiment conduit à la mort : « C’est lamentable mais je dois le dire. Cela ne met pas en cause le gouvernement espagnol actuel mais les seuls gouvernements à avoir reconnu les putschistes furent les Etats-Unis et l’Espagne par leurs ambassadeurs et l’Union Européenne par le biais de la présidence de José Maria Aznar« . Le gouvernement de Zapatero n’est pas mis en cause. Implicitement par contre, le chef de l’Etat espagnol, le Roi de Bourbon a bien reçu le message. Chavez va continuer son discours en qualifiant Aznar de fasciste pour sa participation au coup d’Etat, participation révélée par le propre ministre des Affaires Etrangères du gouvernement Zapatero. Puis Chavez étaye ses arguments en rappelant une anecdote personnelle : « En 2000, j’ai reçu José Maria Aznar. Il m’a dit que le Venezuela pouvait devenir un pays développé s’il rejoignait son club de pays. Mais pour ça, il fallait que j’abandonne mes relations avec Cuba. Je lui ai demandé qu’est-ce qu’ils comptaient faire pour Haïti, pour les pays d’Amérique Centrale. Et ce monsieur m’a répondu, je m’excuse des mots que je vais prononcer mais il faut que je répète les mots exacts. Aznar m’a dis « Eux, ils sont baisés !« . Et bien, au Venezuela nous avons une autre idée de l’Humanité. Aznar est un fasciste, je le répète. » Comme on peut le voir, loin d’être la nouvelle lubie d’un Chavez impulsif, ces accusations sont en fait une réponse à Zapatero, qui niait l’ingérence politique des gouvernements et économique des multinationales du Nord dans les affaires internes des pays du Sud.
Dans sa réponse, Zapatero s’est solidarisé avec son prédécesseur, trouvant là le renfort logique du Roi. Il peut sembler étrange qu’un « socialiste » épaulé par un Roi prenne la défense d’un prédécesseur de droite dure, qui a participé à l’organisation d’un coup d’Etat dans un pays souverain. Il peut sembler encore plus étrange que l’argument choisi par Zapatero pour défendre Aznar fut d’invoquer le respect des idées d’autrui, lorsque l’on sait ce qu’il s’est passé non seulement en 2002, mais encore maintenant puisque la Fondation pour l’Analyse et les Etudes Sociales (FAES) présidé par José Maria Aznar a signé des conventions de coopération avec l’Université Catholique Andres Bello, université privée de Caracas qui forme les cadres intellectuels de l’opposition au gouvernement bolivarien.
Offusqué, Chavez essaya de répondre, mais sa très grande altesse, Juan Carlos de Bourbon, le fustigea d’une réplique digne de ses prédécesseurs sur le trône durant la colonisation des Amériques : « Pourquoi tu ne la fermes pas ? » Bien des journaux ont amoindri la vulgarité du propos. La traduction exacte n’est pas « Pourquoi ne te tais tu pas ? » mais bien « Ferme-la ! »
Imaginons un très court instant, que lors d’une réunion politique, la Reine d’Angleterre, crache rageusement à un président français : « Pourquoi tu ne la fermes pas ? » de la même manière que l’a fait Juan Carlos à Hugo Chavez. Que se passerait-il dans l’opinion française ?
Hugo Chavez, a dit après le sommet ne pas avoir entendu l’ordre du Roi. Quoiqu’il en soit, lorsqu’il redemande la parole pour s’éclairer sur ses propos, la présidente chilienne lui refuse au motif qu’il avait déjà parlé et la donne au président Nicaraguayen Daniel Ortega. Celui-ci, dans un geste de solidarité propre à la nouvelle donne politique en Amérique Latine, offre de son temps de parole à son homologue vénézuélien qui résumera ses propos par la phrase de José Gervasio Artigas, « Avec la vérité, je n’offense ni crains personne ». Puis, Ortega reprendra la parole pour reprendre à son compte la critique des propos de Zapatero. Il critiquera fortement l’entreprise espagnole d’électricité Unión Fenosa, l’accusant même d’être une structure mafieuse. C’en est trop pour sa majesté Don Juan Carlos de Bourbon, peu habitué à cette intégration politique et à cette solidarité entre les pays latino-américain. Il quittera la réunion et n’assistera pas à la clôture officielle de l’évènement malgré les efforts de la présidente chilienne pour le faire revenir. Ce n’est donc pas à cause de Chavez que le Roi s’est enfui mais en écoutant un discours du président nicaraguayen mettant en cause les pratiques néo-coloniales des entreprises espagnoles en Amérique du Sud. La République de Cuba, par la voix de Carlos Lage, se chargera de conclure cette discussion en réaffirmant sa totale solidarité avec les présidents du Nicaragua et du Venezuela.
Alors, Chavez impertinent et impulsif ? Ou en totale cohérence avec la proposition d’intégration et la nouvelle donne politique en Amérique Latine ? Pourquoi les grandes entreprises de communication se sont-elle livrées à ce collage médiatique pour une fois de plus discréditer le président vénézuélien ?
A la sortie du sommet ibéro-américain, les présidents Correa (Equateur), Morales (Bolivie), Ortega (Nicaragua), Chavez (Venezuela) et le vice-président cubain Carlos Lage se sont rendus à une concentration de 50.000 personnes en soutien à leur vision politique et sociale commune (et non pas 3000 personnes comme certains media l’ont laissé entendre). Le lieu de la concentration était hautement symbolique : le Stade National du Chili, ce même stade où les « facteurs externes sans importances » de Zapatero avaient fait taire dans le sang l’espérance démocratique du Peuple chilien.
En revanche, personne ne s’est réunit pour manifester un quelconque soutien à sa majesté don Juan Carlos de Bourbon.
Romain Migus
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